Les Dents du Midi et la Tour Sallière
Une expérience particulière
C'était une vieille idée. Je connaissais bien le Buet et le barrage d'Emosson en été. Avec la famille, nous séjournions souvent au mois d'août à Vallorcine. Déjà j'avais emmené les garçons faire le Mont Ruan (avec bivouac en amont du lac d'Emosson). Une belle ballade qui peut se faire en traversée, avec un corde de rappel pour descendre le couloir de neige raide vers le glacier du Mt Ruan (pitons d'assurance et rappel en place).
L'idée donc c'était de faire la traversée à ski, en partant des Marécottes, col de la Golette, lac de Salanfe, Dents du Midi, Tour Sallière et retour par le lac d'Emosson. Peu fréquenté, ce n'est certainement pas une classique.
Les Marécottes, on y accéde par le petit train de Chamonix (pas d'accès voiture de la France). Charmant village et petite station de ski. Mais au mois de mai, le télésiège qui va vers le col de La Golette ne marchait plus. Nous étions quatre, avec les deux lyonnais (Xavier et Michel) et Bertrand. Le temps au départ était variable, mais la météo n'était pas négative (mais c'est toujours ce qu'on dit...). Le col de La Golette est un joli col, assez raide à la fin et la descente sur le lac de Salanfe splendide. Au barrage, l'auberge de Salanfe est bien sûr fermée, mais il y a un refuge d'hiver très confortable. Il y a même un chauffage electrique (peut-être à cause du barrage, qui produit de l'électricité).
Col de la Golette (Michel)
Le lendemain le temps est couvert et toute tentative de faire les Dents du Midi est vite abandonnée. Nous passons simplement le col de Susanfe pour redescendre sur le refuge du même nom. Après inspection, la Haute Cime des Dents du Midi initialement envisagée est certainement faisable à partir du col de Susanfe (chemin d'été) avec une descente dans la grande pente vers le vallon de Susanfe, mais il faut beaucoup de neige et cette année on voyait beaucoup de cailloux. Donc pas de regrets.
Le refuge de Susanfe est adorable. En plus nous étions complétement seuls. Le poêle marchait bien et c'était tant mieux, parce-que la tempête s'était levée avec beaucoup de vent et de neige.
Le lendemain, très beau temps. Et dans ces cas là, il est difficile de se retenir. Pourtant il aurait mieux valu. La neige était profonde, toute légère, adorable. Donc nous partons pour la Tour Sallière. Il faut descendre d'abord, puis monter un petit goulet qui vous amène sur un grand plateau. De là on accéde à un seuil appellé "Grande pente", qui permet d'accéder au glacier du Mt Ruan. Nous étions à un passage raide juste avant la Grande Pente et nous laissons Xavier partir en avant pour tester ce passage. En fait la coulée est partie sous nos pieds. J'ai vu la neige de fissurer et j'ai bien eu le temps de me dire "bouge", mais c'est tout ce que j'ai pu faire. Je me suis retrouvé entrainé et immergé. Cela a certainement duré moins d'une minute, mais on a bien le temps de penser que c'est la fin de l'aventure. Je retenais ma respiration pour éviter d'être noyé, mais cela ne peut durer qu'un temps. Il passe beaucoup de pensées dans la tête pendant ces quelques secondes que l'on pressent comme les dernières. Même une sorte de sentiment de plénitude.
Mais finalement non. Je suis toujours là. Je commençais à m'étouffer lorsque la descente s'est arrétée. J'étais bien sous la neige, mais en levant la main, j'ai senti l'air. J'ai alors écarté la neige et repris ma respiration. Mais on ne peut absolument plus bouger. On a l'impression d'être pris dans un carcan.
Et mon fils était quelque part à coté. Et là j'ai eu peur. Je me suis mis à appeler comme un perdu, et j'ai entendu les réponses des autres, Bertrand et Michel. Ils étaient enterrés comme moi, mais je les entendais. Xavier qui était en avant n'avait pas été entrainé et redescendait pour nous aider à nous dégager.
Au bilan, Michel avait subi une petite entorse et Bertrand perdu un baton. Pour mon compte, j'étais indemne et complet. Entre temps le soleil était arrivé et nous réchauffait.
Après nous être remis de nos émotions, nous sommes redescendus au refuge de Susanfe. Là j'ai emprunté pour Bertrand un baton de ski que j'avais repéré la veille. Après un petit thé pour nous réconforter, nous sommes repassés par le col de Susanfe et avons retrouvé le refuge d'hiver de Salanfe, au bord du lac du même nom.
Il nous restait un jour et comme il faisait toujours beau, nous l'avons consacré à l'ascension du col d'Emaney, à coté du Luisin. Nous aurions pu redescendre par là vers les Marécottes, mais Michel ne nous avait pas suivi préférant faire reposer son entorse. Et de plus la descente était raide et l'expérience passée ne nous poussait pas vraiment à l'aventure. Nous sommes donc redescendu vers le barrage de Salanfe (bonne descente dans la poudreuse de la veille) et de là à pieds jusqu'à Van d'en Haut où une charmante suissesse a bien voulu nous ramener en voiture jusqu'au Marécottes pour rejoindre notre train.
Il y a une suite : je ne voulais pas en rester là. D'abord il fallait rapporter le baton emprunté au refuge de Salanfe. Ensuite éventuellement récupérer celui avalé par l'avalanche. C'est donc au mois de Septembre, la même année, que nous (Bertrand, Hélène et moi) sommes repartis pour le même circuit. Mais à pieds bien sûr. Cette fois nous sommes partis du barrage d'Emosson et passés par le col d'Emaney pour rejoindre l'auberge de Salanfe (tout confort...). Nous avons bien gravi la Haute Cîme des Dents du Midi, par un temps magnifique et une vue superbe. Le refuge de Salanfe était plein, mais le lendemain, nous étions seuls (Bertrand, Hélène et moi) à partir vers la Tour Sallière. Tous les autres partaient pour les Dents du Midi. Décidement ce circuit de la Tour Sallière reste très confidentiel, même en été. Nous n'avons pas retrouvé le baton perdu. Sans doute quelqu'un l'avait retrouvé avant nous ou plus vraisemblablement il a été emporté dans la pente lors de la fonte des neiges. La Grande Pente est raide et bien en glace (crampons nécessaires et broche à glace recommandée) mais facile. La descente vers le lac d'Emosson à partir du col de la Tour Sallière est complexe. Il faut bien appuyer sur la rive gauche et ne pas essayer de descendre tout droit. Ensuite il faut longer tout le lac sur un chemin puis une route (interdite aux voitures). Et le lac d'Emosson est long. On termine par un long tunnel qui arrive sur le barrage où nous avions laissé la voiture.