Haute route du Grand Paradis
Mai 1981
L'idée, assez classique et bien documentée, est de partir de Cogne en Italie et d'arriver à Val d'Isère. La traversée permet de faire le Gran Serra (3552), le Grand Paradis (4061) et la Pointe de la galise (3344). Le cheminement se situe comme suit :
Nous étions un petit groupe avec des participants de Paris, de Lyon et de Nice. L'équipement comprenait tout le matériel de bivouac et c'est une sage précaution, comme on va le voir. Par contre, c'est un peu lourd et cela nous pénalisera. De toute façon en Italie, il faut se méfier des refuges qui peuvent être fermés sans local d'hiver. La montée au refuge Vittorio Sella se fait par un bon chemin et on ne chaussera que sur les derniers mètres. Le refuge est gardé et la soupe est bonne, complétée avec nos vivres normalement prévus pour les 5 jours.
Départ le lendemain à l'aube naissante. La journée est prévue assez longue, avec la dernière remontée vers le bivouac Sberna. Il fait beau et on en profite pour se restaurer convenablement au pied de la tour sommitale du Gd Serra.
Ensuite il faut rejoindre le glacier de Timorion, qu'on descend un peu pour trouver un passage vers 3100m. Le passage est un peu raide et nous posons une corde fixe pour faciliter la descente.
Tout cela prend du temps et lorsque nous nous retrouvons enfin sur le glacier du Gran Neyron, au pied du col Est du Gd Neyron, la discussion s'engage sur la suite à donner à la journée.
La journée est déjà bien avancée et la montée vers le col semble longue. La fatigue commence à se faire sentir. La décision est donc prise de bivouaquer sur place, avec le risque de ne pas pouvoir faire le Gd Paradis demain. Mais cela ne peut pas nous empêcher d'atteindre demain le refuge Vittorio Emmanuele et continuer ainsi la randonnée comme prévu.
Le bivouac va donc s'établir vers 3000 métres. Un joli bivouac sur ce glacier du Gd Neyron orienté à l'ouest. Le soleil reste tard et nous profitons bien de la soirée. Le coucher du soleil sera magnifique. Ce bivouac rappelle le bivouac sur la glacier de la Roche Michel en route pour la Pointe de la Ronce, dans les Alpes Grées. Même altitude, même exposition, même coucher de soleil...! L'ambiance est cool et on n'oublie pas les photos...!
Avec 5 ou 6 tentes, cela commence à faire un petit village. On discute entre voisins, on échange les recettes pour le diner et des conseils pour assurer le confort de la nuit et protéger le matériel en cas de mauvais temps (ce qui s'est avéré une bonne précaution).
Mais les beaux couchers de soleil ne signifient pas toujours le beau temps pour le lendemain. En fait il s'est mis à neiger pendant la nuit, le réveil est un peu dur et sortir de son sac de couchage bien chaud est très difficile.
Petit déjeuner dans le froid et le blizzard. On rentrerait volontier de recoucher pour attendre des jours meilleurs.
Il n'est evidemment pas question de monter au col Est du Gd Neyron pour traverser ensuite en diagonale et dans la crasse le glacier Laveciau (très dangeureux, étant donné qu'on longe les crevasses. Une très bonne visibilité est nécessaire pour cette traversée).
En fait ce qui est décidé, c'est d'abandonner la randonnée et de rejoindre le Val Savaranche en descendant directement le glacier et le vallon qui suit vers Tignet.
Le départ s'organise sous la neige qui tombe. Un peu de souci quand même sur la descente, qui n'était pas prévue, mais le topo indique bien la possibilité de descendre par ce glacier. Donc en avant pour l'aventure.
En fait la descente ne présente aucun problème et elle a été sympa malgré les conditions climatiques défavorables. Nous sommes arrivés au petit village de Tignet dans le Val Savaranche, plutôt mouillés. Il neigeait encore ici, à 1500m, et il était urgent de réchauffer sérieusement le groupe sous peine de rhumes à venir et surtout de souvenirs désagréables. Dans une randonnée, il faut qu'il reste les bons moments. Un mauvais moment, il faut vite l'effacer avec un bon.
Heureusement dans ce village, il y avait un café ouvert (il faut dire que le Val Savaranche est assez touristique). Nous nous sommes engouffrés dans ce café en poussant un soupir de soulagement. Le patron nous a vu arriver et pour lui, il n'y avait qu'une seule chose qui pouvait nous convenir : une grôle...! La grôle du pays, c'est une grosse marmite en terre cuite avec des becs verseurs répartis autour. Chacun boit au bec placé en face de lui. En principe il y a un bec par personne... Dedans, il y a du café bien chaud, mélangé dans des proportions convenables avec de la grapa (alcool italien). L'effet est saisissant. Il peut être redoutable si on envisage de conduire une voiture tout-de-suite après.
Ce souvenir de la grôle du Val Savaranche reste un souvenir qui fait oublier la randonnée interrompue, le bivouac sous la neige et les vétements trempés. On n'oubliera pas la grôle du Val Savaranche. Et finalement il n'y aura pas eu de rhumes.