Marinette Onimus
15 août 1912
30 août 2007
Obsèques le samedi 1
septembre 2007
en l’église de Valbonne
Largo de Haendel.
Maman,
C’est aujourd’hui le 1er septembre, papa aurait 98 ans. Il y a bien longtemps, ce jeune professeur de lettres un peu mystique a arrêté sa voiture, avenue des Arènes à Nice, alors que vous alliez prendre le thé chez des amis, simplement pour te dire : « Et si on se mariait ? Qu’en pensez-vous ? », tu as laissé passer un long silence et tu as finalement répondu par ces mots qu’il n’oubliera jamais : « Tout cela est terriblement grave. ». Et tu avais raison… Comment aurais-tu pu imaginer alors, que tu allais poser la première pierre d’une famille de 7 enfants, 28 petits enfants et 24 arrière-petits-enfants aujourd’hui.
Ton enfance a été celle d’une petite fille antiboise qui parlait le provençal couramment. Avec ta copine Odette, tu connaissais tous les recoins du Cap d’Antibes et les meilleurs endroits de baignade. Un amour inconsidéré pour les mathématiques t’a fait quitter Antibes et le cocon familial pour l’ENS de Sèvres où tu as découvert la vie estudiantine parisienne, un nouveau monde pour une jeune fille trop protégée de la bourgeoisie antiboise. Tu n’oublieras jamais ces quelques années de liberté où tout devenait possible. Tu nous raconteras souvent ton triomphe le jour de l’agrégation quand tu sortis bien avant les autres parce que tu avais réussi à trouver une solution géométrique au problème posé, une solution qui tenait sur une ½ page alors que tous les autres candidats griffonnaient laborieusement des dizaines de pages de calcul algébrique !
Oui, maman, cette liberté avait dû t’enivrer un peu parce que tu as attendu longtemps avant de te décider à introduire quelqu’un dans ta solitude. Il aura fallu que tu rencontres ce jeune professeur un peu rêveur qui t’emmenait faire de longues balades à ski ou même des régates sur son bateau, pour que tu te laisses convaincre et que tu décides de te jeter à l’eau. Sans doute pressentais-tu déjà ce changement radical, ce bouleversement dans ta vie, qu’allait être la genèse de la famille Onimus. « Une fille unique, un peu sauvage, réservée, méfiante, toujours prête à disparaître comme si vivre c’était déjà de trop » dit de toi papa dans ses Mémoires. Tu étais cela et pourtant tu n’as pas hésité à lui faire confiance.
Plutôt que de poursuivre une vie professionnelle que tu aimais beaucoup, tu as choisi de te consacrer à ta famille. Elle a représenté pour toi ce que devait être la vie. Bien sûr il t’a fallu une énergie et une volonté peu commune pour faire de nous ce que nous sommes. Tu as élevé tous ces bébés à une époque où les couches jetables n’existaient pas, tu leur as appris à lire et à écrire parce que la fréquentation de l’école primaire te semblait inappropriée. Il a fallu aussi que tu nous pousses dans nos études, nous menaçant trop souvent de finir casseur de pierres au bord de la route ! Et bien sûr, tu as accompagné et soutenu papa dans sa carrière, tapant, corrigeant et critiquant ses écrits.
Pour toi le meilleur moment, le moment de repos, c’était le camping sauvage dans la montagne. Tout était plaisir : la soupe sur le feu de bois, le moïse du dernier bébé au fond de la tente, les vaches qui appréciaient trop le linge en train de sécher ou simplement les jeux durant les longues journées de pluie.
Quand tout ce petit monde s’est enfin dispersé, on aurait pu penser que tu allais enfin retrouver une nouvelle liberté. Eh bien non ! Tu étais toujours prête pour garder quelques petits-enfants ou leur donner des cours de mathématiques. Et qui pourrait oublier les vacances passées ensemble, quand tous les enfants et les petits-enfants se retrouvaient dans le chalet loué en montagne ou simplement au Tameyé. C’était cela que vous aimiez, papa et toi : les rires et la joie des enfants rassemblés. Alors tu préparais ces farcis dont tu avais le secret avec des tomates, des courgettes, des oignons, des aubergines.
Et il avait aussi les histoires d’Ernest et d’Ernestine que tu racontais le soir à tes petits-enfants. Il y a beaucoup de personnages dans une basse-cour de ferme, mais le personnage principal, celui qui dirigeait tout sans en donner l’impression, était Ernestine, la cane. Quant à Gros cochon Pigou, il était suffisamment balourd pour croire tout ce qu’Ernestine pouvait lui raconter.
Ton secret, maman, c’est l’amour. Un amour qui a cristallisé un jour entre papa et toi, peut-être lors d’une balade à ski au refuge de Sestrière. Un amour que vous avez su faire vieillir comme un bon vin. Un amour qui vous a toujours réunis dans les épreuves et dans les joies. Un amour souvent célébré dans les écrits de papa. Un amour qui a été le fondement de la famille.
Cet amour nous baigne encore, un amour inépuisable qui a nourri tes enfants, tes petits-enfants et même tes arrière-petits-enfants. Grâce à toi, il nous reste des montagnes de souvenirs, des éclats de vie brillants comme des diamants. Il nous reste surtout un lien profond, solide qui fait de ta famille quelque chose de spécial.
Comme dit papa dans son dernier livre : L’art d’aimer, tel que je le conçois, c’est l’intelligence, unie à la passion de se donner, une passion qui est vraiment étrange, sublime.
Papa t’a écrit une carte pour te dire adieu avant de mourir et je me permets d’en citer ici un extrait qui reflète bien ce que vous étiez l’un pour l’autre :
Je veux te dire,
en te quittant, pour toujours un immense merci. Tu as su créer pour nous deux,
pour nous tous un certain bonheur qui est une rare mais toute naturelle
réussite. Tu as su porter la médiocrité de nos pauvres vies à un niveau qui
justifie l’existence et compense ce qu’elle a d’horrible. Merci pour ta
patience, ta bonté, ton sourire, ta rassurante présence.
à Extrait de « Les Inséparables » de Jean Onimus.
En 1982, Jean Onimus
écrit un livre – intitulé « Inséparables »
- sur l’amour, cette part intime qui illumine et enrichit la vie de ceux qui la
partagent.
Envisagé comme une
« simple lettre » adressée à « Marinette », épousée plus de
40 ans auparavant, le texte s’enrichit de témoignages et de réflexions, pour
devenir un hymne à ce sentiment mystérieux à la fois source de bonheur et de
raison de vivre.
« L’amour fait monter à la lumière ce qu’il y a en nous de plus personnel. C’est le point de départ — par interaction intime et quotidienne — d’une personnalité seconde, plus large, plus ouverte, qui puise sa fécondité dans sa double origine….
Je parle de l’amour de jour, celui qui s’éveille au matin dans la fraîcheur du bonjour et qui vous accompagne dans votre travail, celui qui se concentre au foyer du soir, celui qui, même séparés, illumine pour vous le monde et donne du sel à la fadeur du temps. Celui qui fait des séparations une attente, des retrouvailles un printemps, qui met partout, dans les chagrins comme dans les joies, son point d’harmonie. Pas celui des mécaniciens : le leur n’est en bonne santé que s’il ne fait pas de bruit et fonctionne en silence. Celui dont je voudrais parler est merveilleusement présent, prend toute la place et fait beaucoup de bruit, comme le soleil dans le ciel. Mais qui regarde le soleil ? Et qui pourrait s’en passer? …
Oui! Il suffit que deux personnes fassent le serment de s’unir pour toujours pour que la vie prenne un sens, et non seulement pour elles : pour nous tous. Seul l’amour a cet incroyable pouvoir de modifier le monde, de le rendre respirable pour l’esprit. Le couple fidèle — qui se veut fidèle — est le lieu d’émergence d’un modèle supérieur de vie qui rayonne et attire. Certes toutes les difficultés et tous les problèmes habituels subsistent et même s’aggravent, mais un je ne sais quoi d’autre est introduit dans la trame du temps et y tisse un motif d’éternité. »
à
Psaume 103.
Refrain : « Je bénirai le Seigneur toujours et
partout »
Bénis le Seigneur, mon âme,
Du fond de mon être, son saint nom.
Bénis le Seigneur, mon âme,
N’oublie aucun de ses bienfaits.
Refrain : « Je bénirai le Seigneur toujours et partout »
Le Seigneur est tendresse et pitié,
Lent à la colère et plein d’amour ;
Elle n’est pas jusqu’à la fin, sa querelle,
Elle n’est pas pour toujours, sa rancune ;
Il ne nous traite pas selon nos fautes,
Ne nous rend pas selon nos offenses.
Refrain : « Je bénirai le Seigneur toujours et partout »
Comme est la tendresse d’un père pour ses fils,
Tendre est le Seigneur pour qui le craint ;
Il sait de quoi nous sommes pétris,
Il se souvient que nous sommes poussière.
L’amour du Seigneur pour qui le craint
est de toujours à toujours.
Refrain : « Je bénirai le Seigneur toujours et partout »
Bénissez le Seigneur, tous ses serviteurs,
Ouvriers de son désir.
Bénissez le Seigneur, toutes ses œuvres,
En tous lieux de son domaine.
Bénis le Seigneur, mon âme.
à Jean II, 1 à 12
« Le troisième jour, il y eut une
noce à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi fut invité à la
noce ainsi que ses disciples. Le vin venant à manquer, la mère de Jésus lui dit
« Ils n’ont pas de vin ». Jésus lui dit « Que me veux-tu,
femme ? Mon heure n’est pas encore venue ». Sa mère dit aux serviteurs :
« Faites ce qu’il vous dira ».
« Or il y avait là six jarres de pierre, pour les purifications des Juifs, contenant chacune deux ou trois mesures. Jésus dit aux serviteurs : « Remplissez d’eau ces jarres ». Ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Puisez maintenant et portez-en au maître d’hôtel ». Ils lui en portèrent. Quand le maître d’hôtel eut goûté l’eau devenue du vin - il en ignorait la provenance, mais les serveurs la savaient, eux qui avait puisé l’eau - il appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert d’abord le bon vin et, quand les gens sont ivres, alors le moins bon ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent ».
« Tel fut le commencement des signes de Jésus ; c’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui ».
Merci seigneur, car nos parents ont pu mourir chez eux entourés de leurs enfants.
Nous te prions pour tous ceux qui quittent ce monde dans la solitude, sans attention, sans affection.
Nous prions pour Jean Onimus, Aymeric Lemée, Dominique Onimus, Madame Reba, les défunts des familles Onimus, Bousquet et des familles amies.
Aria de Bach
à Témoignage de la famille Veisse
« Madame Onimus » , nous les enfants Veisse , nous ne vous avons jamais appelée autrement qu’ainsi « Madame Onimus » comme vos enfants ont toujours appelé nos parents « Monsieur et Madame Veisse » et pourtant…. Comment peut-on qualifier le lien qui nous a toujours unis, les parents Veisse et les parents Onimus, les enfants Veisse et les enfants Onimus, sinon que de lien de fraternité ? Nous avons tout partagé dans notre enfance, le camping à Bousieyas, les balades en montagne et les virées en bateau pour les aînés avec Monsieur Onimus, les joyeux et bruyants repas du jour de l’An à la Pinède, les vacances à Valbonne avec les départs Nice-Valbonne dans la remorque, les bains dans le tub, la récolte des mûres, les repas sous le tilleul, la récolte des olives ….
Quand les uns partaient en vacances, ils confiaient tout naturellement leurs plus jeunes enfants aux autres …et vous, Madame Onimus, au lieu d’avoir les 4 ou 5 plus jeunes de votre famille autour de la table de la Pinède à l’heure des devoirs du soir, eh bien vous acceptiez volontiers de voir le cercle s’agrandir… Nous avions le sentiment d’appartenir à la même famille : quand un enfant naissait d’un côté, aussitôt les autres voulaient poursuivre la compétition ! 7 enfants d’un côté, 6 de l’autre. Tout naturellement encore vous avez demandé à notre mère d’être la marraine de Jean-Louis et quelques années plus tard vous avez accepté de devenir la marraine d’Annou. Et toujours le même optimisme, la même joie de voir s’agrandir les deux familles !
La fantaisie et la curiosité intellectuelle de notre père n’avaient d’égal que l’enthousiasme débordant de votre mari pour tout ce qui était beau, nouveau, émouvant, intéressant. Heureusement vous, Madame Onimus, partagiez avec notre mère la même exigence de réalisme, de concret. Vous aviez du caractère, vous saviez vous faire entendre et toutes les deux vous possédiez un solide bon sens qui tempérait quand il le fallait les engouements de vos conjoints.
Et que dire de la générosité avec laquelle vous avez prêté votre maison de la Pinède à la tribu Veisse chaque été pendant plus de 20 ans, à tel point qu’à la Pinède nous nous sentions chez nous.
Et puis, le temps a passé, nous les enfants, nous nous sommes parfois éloignés les uns des autres. La vie est ainsi qui nous a séparés, mais nous avons toujours plaisir à nous revoir pour partager les moments heureux ou malheureux de nos existences et vous, les parents, vous avez continué tranquillement à tisser votre toile d’amitié jusqu’aux derniers jours. Papa est parti le premier il y a longtemps déjà, et de ce jour, notre mère a eu sa chambre qui l’attendait quand elle venait chez vous. Et puis, vous avez vieilli ensemble et combien était grande notre émotion quand nous vous entendions, notre mère et vous, papoter toute une après midi malgré votre surdité respective ! Vous vous connaissiez si bien toutes les deux, peu importe si vous ne vous entendiez pas ! Vous étiez bien au delà des mots. Et puis maman nous a quittés elle aussi, et au début du mois ce fut le tour de votre mari. Vous êtes tout naturellement allée les rejoindre au plus vite . Votre place était désormais avec eux et non plus avec nous, mais vous vous êtes inscrits vous, Madame Onimus et votre mari, Monsieur Onimus, dans l’histoire de notre famille et vous resterez à jamais dans notre cœur
à Témoignages des petits-enfants
Grand-Maman rejoint Grand-Papa… C’est un peu notre enfance qui prend fin, cette enfance dont on souhaite toujours conserver une parcelle en nous, cette enfance que nos Grand-Parents ont su si bien faire vivre et s’épanouir en nous. Le Tameyé sera vide. Le Tameyé, ce toit de vieilles tuiles sous le ciel bleu lavé de nuages blancs, ne sera jamais plus pareil, mais on aimerait qu’il conserve toujours la mémoire de Grand-Papa et Grand-Maman, qu’il reste vivant dans le souvenir et qu’on continue à ramasser les olives en pensant à Grand-Maman qui passait toujours après nous pour ramasser celles que nous avions laissées sur le sol.
On se souvient des histoires d’Ernest & Ernestine racontées dans la grande chambre (on lui demandait une histoire et elle répondait « Je vais y penser… », et une heure après, elle arrivait avec un scénario incroyable, des nouveaux personnages et toujours Amilcar le chat qui se faisait enguirlander à la fin, à moins que ce ne fut le renard.
On n’oubliera pas tous ces chandails que tu nous as tricoté, Chico le chat, la confiture de tomates, le thé et sa boite à biscuits.
Grand-Maman, tu étais vraiment le cœur de la famille, qui savait saisir et redistribuer à tous chaque moment de la vie familiale.
Dans le poème de Guillevic à l’entrée du Tameyé, il manque une strophe sur Grand-Papa et Grand-Maman pour évoquer complètement l’image du bonheur.
Au revoir Grand-Maman, parcelle d’enfance, soleil de Valbonne, edelweiss caché du Tameyé, conteuse de rêve… Nous les petits enfants, on t’aime…
à Bénédiction
∙ « Je vous salue Marie » chanté
∙ « Après un rêve » de Fauré
à « Jésus que ma joie demeure » JS Bach
Cette chanson a été imaginée par Odile à l’occasion de l’anniversaire des 70 ans de grand-maman. Elle a été ensuite chantée plusieurs fois à l’occasion des anniversaires suivants. Elle est devenue « la chanson de grand-maman ». Ce témoignage d’affection sera chanté une dernière fois par les petits-enfants et les arrière-petits-enfants au cimetière.
Chanson de
grand-maman
Refrain
Nous les petits enfants
Nous l’aimons notre grand-maman
Nous les petits enfants
Nous l’aimons vraiment
Elle a recommencé
A se lever la nuit
Pour consoler bébé
Changer une couche mouillée.
Elle s’est chargée de nous
Quand nos parents trop fous
Partaient à l’aventure
Sur des chemins perdus.
Merci pour ses chandails
Si beaux, si doux, si chauds
Que nos mères libérées
Ne savent plus tricoter.
Merci pour ses histoires
Qu’elle raconte chaque soir
Les belles aventures
D’Ernest et d’Ernestine.
Toujours première levée
Elle s’en va au marché
Chercher de quoi manger
Pour toute la maisonnée.
Et tout l’hiver durant
Elle pense encore à nous
Cueillant toutes ces olives
Pour faire de la bonne huile.
Et le plus dur encore
C’est de garder la paix
Entre un mari pressé
Et des enfants gâtés.