Credo de grand-papa

Extrait de « Mémoires de voyages »
(Voir chapitre « La marée des souvenirs »)

 

 

Je voudrais résumer, en guise d’adieu, ce qui m’a finalement paru indubitable, ce qui a guidé mon existence et donné un peu de sens à ma vie. J’ai définitivement cessé de croire en un Dieu extérieur au monde, anthropomorphisé, capable d’aimer, de juger, doué d’un cœur sensible etc. Le monde est vide, il est inhumain et nous sommes bien seuls de notre espèce. Je n’ai pas épuisé cette cataracte de négations : elle s’impose et me coupe la parole. Il me faut, après tant d’années de naïve confiance, un gros effort pour me convaincre que le ciel est vraiment vide, qu’il ne faut en attendre ni grâce, ni pitié. Mais le ciel est aussi gros d’un avenir immense qui, à lui seul, donne sens à l’existence. Je crois que cet immense désordre répond à une « intention ». Il y a autre chose que du désordre ; la science s’en aperçoit et surtout la biologie. Avec l’apparition de la vie, quelque chose a pris du sens. Ce quelque chose ne se définit que par ses effets ; ils sont évidents. C’est là-dessus que je fonde mon espérance et ma confiance dans les pouvoirs ultimes du cosmos.

(…)

L’avenir n’existe pas encore et ne peut donc être pensé. C’est notre évolution qui le crée puisqu’elle est seule capable de transcender le présent. Pour le dire d’un mot, le monde est une machine à créer de l’être.

(…)

Il m’arrive de rêver d’une religion universelle fondée sur l’évidence de cette montée vers l’esprit, qui renforcerait l’espoir collectif de l’humanité, aiderait à rêver d’un avenir de communion et préparerait le grand bond en avant que les impasses actuelles du progrès nous font présager. Une religion joyeuse, comme celle dont rêvait Jésus, qui au lieu de se complaire à décrire le mal induirait au contraire l’Evolution à se poursuivre en direction d’une nouvelle plénitude. Ce devrait être là le rôle principal de la religion. Non pas nous sauver, ce mot a-t-il encore un sens ? Mais nous aider, nous encourager à poursuivre avec confiance l’œuvre en cours, qui est de donner naissance à l’esprit. Au lieu de nous inciter à fuir ce monde et attendre une plénitude venue d’ailleurs, elle devrait nourrir et dynamiser nos espérances.

(…)

Ma foi n’a rien d’intellectuel. C’est une foi vitale, instinctive, totale : la conviction que le monde a un sens et que nous sommes tous voués à intensifier ce sens. Nous sommes ivres, fous d’existence, nous ne nous lasserons jamais !

(…)

Je vais m’en aller bientôt. Rien ne me retient plus ici, mais je vais partir plein de confiance, dans l’attente d’un être nouveau que nous contribuons tous à mettre au monde. Montrez que je n’ai pas perdu mon temps et que j’avais raison de croire au futur. C’est tout ce que je vous demande !